Le 18 mars 1871, une émeute éclate à Paris, sur la butte Montmartre. Adolphe Thiers, chef du gouvernement provisoire de la République, renonce à la réprimer et s'enfuit à Versailles avec tous les corps constitués. C'est l'amorce de la « Commune ».
Maîtres malgré eux de la capitale, les révolutionnaires et militants socialistes et ouvriers tentent de réaliser l'utopie communiste tout en luttant contre les troupes gouvernementales et les armées allemandes qui assiègent encore la ville. Mais, privés du soutien des provinciaux, ils vont offrir à la bourgeoisie républicaine l'occasion de se débarrasser une fois pour toutes de la « question sociale ».
Il s'ensuivra plusieurs milliers de victimes, jusqu'à 6 500 (le nombre de 20 000, avancé par le Communard et historien Hippolyte Robert Lissagaray, est aujourd'hui jugé excessif). Chansons, récits, photos et gravures vont entretenir jusqu'à nos jours dans le monde entier le souvenir de cette expérience révolutionnaire sans précédent.
André Larané
Provocations
Le 18 septembre 1870, deux semaines après avoir capturé l'empereur Napoléon III et son armée à Sedan, les Prussiens assiègent la capitale. Ils battent aussi les armées que le jeune ministre de l'Intérieur Léon Gambetta a réunies en province. Réfugié à Bordeaux, le gouvernement de la Défense nationale est contraint de signer un armistice (dico) le 28 janvier 1871 et de préparer des élections générales.
Conformément à la convention d'armistice, les vainqueurs défilent le 1er mars 1871 à Paris. Thiers leur a fait cette concession en échange de la conservation de Belfort. Les troupes allemandes traversent une capitale en deuil et passent devant des statues recouvertes d'un voile noir.
Dès le lendemain, à Bordeaux, Adolphe Thiers (73 ans), élu le 17 février précédent « chef du pouvoir exécutif de la République française », obtient de l'Assemblée nationale qu'elle ratifie les préliminaires de paix.
Les Parisiens ruminent leur humiliation. Soulagés par la fin du siège et des pénuries alimentaires, ils se sentent néanmoins trahis par leurs gouvernants. À Montmartre, le maire du XVIIIe arrondissement, un certain Georges Clemenceau (31 ans), attise les ressentiments de la population en affichant une proclamation où l'on peut lire : « On vous a livrés sans merci. Toute résistance a été rendue impossible ».
Le 1er mars, la signature des préliminaires du traité de paix est ressentie comme une violente humiliation par les Parisiens qui ont beaucoup souffert du siège de la capitale et ont, trois jours plus tôt, voté massivement pour des députés républicains hostiles à la paix.
L'Assemblée nouvellement élue et où dominent les monarchistes attise les tensions. Le 3 mars 1871, elle supprime l'indemnité due à la Garde nationale (30 sous par jour). Or, à Paris, la Garde nationale rassemble pas moins de 180 000 hommes issus de la petite bourgeoisie et du monde ouvrier qui se sont portés volontaires pour défendre la capitale contre l'ennemi et se sont habitués à vivre sous les armes. Dans le marasme ambiant, la suppression de la solde réduit les trois quarts d'entre eux à la misère !
Le 6 mars, le nouveau gouverneur militaire de Paris, le général bonapartiste Joseph Vinoy, suspend six journaux révolutionnaires et ferme les clubs... L'euphorie du 4-Septembre n'est plus qu'un lointain souvenir.
Les combats contre les Prussiens ayant pris fin, l'Assemblée renonce pour sa part à revenir à Paris, par peur de la capitale et de ses deux millions d'habitants aux sentiments majoritairement républicains, voire socialistes. Elle décide donc le 10 mars 1871 de quitter Bordeaux pour... Versailles, la ville royale !
Ultime provocation : le lendemain, parmi ses premières mesures, le gouvernement lève sans préavis le moratoire sur le remboursement des effets de commerce et des loyers qui avait été instauré au début de la guerre. En quatre jours, plus de 150 000 Parisiens se voient exposés à la faillite ou à des poursuites.
La proclamation de la Commune soulève un jaillissement de joie parmi les gens du peuple, avec bals et flonflons sur la place de Grève et en quelques autres endroits. Chacun se réjouit de la fuite des bourgeois et des sergents de ville. Plusieurs dizaines de clubs révolutionnaires informels s'ouvrent dans la capitale, en particulier dans les « granges à corbeaux », surnom donné aux églises ! On y débat de tout dans le souvenir de la Grande Révolution, celle de 1789.
Plus de 70 journaux aux titres hardis sont aussi créés : Le Réveil de Delescluze, Le Cri du peuple de Vallès, Le Mot d'ordre de Rochefort, Le Père Duchesne de Vermeesch (une résurgence du journal révolutionnaire de Hébert).
Mais l'immense majorité de la population parisienne demeure cependant indifférente à l'agitation politique. La vie continue. La Bourse elle-même continue de fonctionner plus ou moins. L'Académie des sciences poursuit ses séances hebdomadaires
Le nouveau gouvernement communal s'en tient, il est vrai, à une gestion relativement prudente. Il met en place neuf commissions (guerre, relations extérieures, finances...) supervisées par une Commission exécutive cependant que les quartiers et les arrondissements se gèrent comme ils peuvent.
La Commune proclame la séparation de l'Église et de l'État, l'instruction gratuite, laïque et obligatoire pour les garçons et les filles, la gratuité de la justice, l'élection des juges et des hauts fonctionnaires, la suppression de toute distinction entre enfants légitimes et naturels... autant de mesures qui nous paraissent aujourd'hui aller de soi. Elle adopte aussi le drapeau rouge le 28 mars ainsi que le calendrier révolutionnaire (!).
Mais elle ne songe pas à attribuer le droit de vote aux femmes, n'ose pas toucher à la journée de travail et surtout ne daigne pas s'emparer de la Banque de France et de son or, se privant délibérément d'un atout stratégique dans la lutte contre les Versaillais. Pour l'ancien député Charles Beslay (75 ans), membre de la commission des finances, on ne saurait impunément violer la propriété privée. Ses scrupules sont partagés par plusieurs autres membres de la commission.
On n'en finirait pas de citer les décisions des différentes commissions, le plus souvent restées lettre morte : saisie des biens de l'Église, plafonnement du salaire des fonctionnaires et interdiction du cumul des fonctions (les postes se multiplient néanmoins, avec uniformes et galonnettes), interdiction du travail de nuit pour les ouvriers boulangers (à la grande déception du peuple qui tient au pain frais du matin), interdiction des jeux de hasard et fermeture des bordels, arrestation des ivrognes...
Le 12 avril, un décret de la Commune ordonne la destruction de la colonne Vendôme, symbole honni du bonapartisme, érigée sur ordre de Napoléon Ier sur la place du même nom (elle sera abattue un mois plus tard). Le 14 avril, à l'initiative de Gustave Courbet, les artistes Corot, Daumier, Millet, Dalou, le caricaturiste André Gil, le dessinateur sur étoffes Eugène Pottier et quelques autres se constituent en fédération. Ils prônent « la libre expression de l'art, dégagé de toute tutelle gouvernementale et de tous privilèges ; [...] la conservation des trésors du passé ; mise en œuvre et en lumière de tous les éléments du présent... » (note).
Le 16 avril, un nouveau décret réquisitionne les ateliers abandonnés par leur patrons et les confie aux ouvriers associés, contre la promesse d'indemniser le propriétaire à son retour. Un seul atelier bénéficiera de la mesure...
Piètre gouvernement, piètres résultats : « L'histoire dira que ces ministres improvisés restèrent honnêtes. Mais nous leur demandions autre chose ; d'avoir le bon sens et la volonté que comportait la situation et d'agir en conséquence », témoignera le géographe anarchiste Élisée Reclus.
Le 19 avril, dans une « déclaration de la Commune au peuple français », Paris suggère aux autres communes de France une association fédérale, assez confuse au demeurant. Il s'ensuit quelques émeutes à Lyon, Marseille, Toulouse, Saint-Étienne, Le Creusot, mais elles sont vite réprimées et la France dans son ensemble se tient coite. Les Parisiens ne contiennent plus leur vindicte contre les « cul-terreux » de la province. Le mépris est réciproque.
Dans une situation quasi-désespérée, la Commune s'en prend le 16 mai à la colonne Vendôme. Gustave Courbet, qui a dénoncé ce « monument de barbarie », sera plus tard jugé responsable de sa destruction (bien qu'il n'ait pas signé le décret ordonnant sa destruction). Il sera condamné à en payer la reconstruction pour 300 000 francs-or !
L'hôtel Dosne-Thiers, luxueuse résidence du chef des Versaillais, est aussi démoli à coup de masse (il sera reconstruit grâce à une souscription des Parisiens et restitué à son honorable propriétaire !).
L'épuisement gagne. Le 21 mai 1871, avertis de ce que la poterne du Point du Jour, au sud-ouest des fortifications, n'est pas gardée, les Versaillais pénètrent enfin à Paris. C'est le début de la Semaine Sanglante.
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